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Chapitre 1. La conquête de la perspective cosmologique dans le dialogue critique avec Heidegger

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Interprétations phénoménologiques de la 'Physique' d’Aristote chez Heidegger et Patočka

Part of the book series: Phaenomenologica ((PHAE,volume 223))

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Abstract

Nous avons souligné en ouverture de ce travail que Patočka s’intéresse à la Physique parce qu’il y aperçoit à l’œuvre, comme Heidegger au reste, une caractérisation expresse du mouvement comme détermination ontologique de plein droit. Il s’est avéré que le mouvement n’est pas primordialement un simple accident qui affecte un étant préalablement apparu dans le monde, muni d’une essence fixée à l’avance, et susceptible ensuite de subir des variations dynamiques, telles qu’Aristote en répertorie par ailleurs les divers types (accroissement/diminution, altération, transport). Plus profondément, le mouvement désigne le procès par lequel tout ce qui est entre dans la présence, se manifeste comme l’étant qu’il est, et déploie son essence pendant la durée qui lui est impartie (fût-ce une durée infinie, incessante, comme c’est le cas avions-nous remarqué des sphères célestes qui peuplent la partie haute du monde se situant au-delà de l’orbite de la lune ; toutefois, les corps supralunaires n’étant pas susceptibles de génération, nous avions aussi remarqué que c’est en définitive la physique sublunaire qui intéresse Patočka au premier chef). Le philosophe est sensible au fait qu’Aristote pense le mouvement en termes d’émergence, de croissance, de genèse (γένεσις), mouvement qu’il convient de qualifier d’ontogénétique en tant qu’il prend en charge les conditions de l’advenue de l’étant à lui-même, c’est-à-dire à son être-individué occupant sa place dans le monde. Avec tout le crédit que prête Patočka à la catégorie physique de la γένεσις, ainsi que celle qui lui répond, le déclin ou la corruption (φθορά), il devient possible d’envisager le mouvement autrement que ne le fit Heidegger avant lui dans une veine phénoménologique pourtant proche en apparence, mais qui cache une différence importante : Heidegger interprète la portée du mouvement ontologique aristotélicien selon un sens que nous avions qualifié d’ontométabolique, et de la sorte il ne place pas autant l’accent sur sa dimension matérielle et incarnée.

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Notes

  1. 1.

    Nous laissons en dehors de cette énumération le couple γένεσις/φθορά pour des raisons que nous avons déjà discutées. En effet, Patočka et Heidegger considèrent que si Aristote tend à laisser ce couple catégoriel hors de sa typique des mouvements, ce n’est pas tant parce que genèse et corruption ne seraient pas des mouvements, mais bien au contraire parce qu’ils relèvent de formes beaucoup plus profondes et originaires du mouvement conçu ontologiquement.

  2. 2.

    MNMEH, p.129. Ou bien : « Il s’avère ainsi que le mouvement est essentiellement lié non seulement à la détermination du substrat, à sa délimitation et à son individuation, mais encore à son dévoilement » (ibid., p. 132, nous soulignons). Cf. PP, p. 31 : « C’est le mouvement qui unifie, entretient la cohésion, synthétise les déterminations de l’étant. La persistance, la succession des déterminations à même un substrat, etc., sont des mouvements » (nous soulignons).

  3. 3.

    R. Barbaras emploie l’expression de « synthèse matérielle » (R. Barbaras, L’ouverture du monde. Lecture de Jan Patočka , Chatou, Les éditions de La Transparence, 2011, p. 245), à la suite de Patočka lui-même : « le changement, le processus, la transformation sont en eux-mêmes des identifications, sont des synthèses matérielles (…) » (PP, p. 32).

  4. 4.

    L’ouvrage de Patočka sur Aristote comporte un grand nombre de passages où le rôle ontologique de la ὕλη se voit ainsi mis en valeur. Le mouvement compris ontologiquement comme devenir, c’est-à-dire actualisation ou mise en œuvre de déterminations, n’est compréhensible qu’en référence à un soubassement matériel : « L’action de la φύσις est précisément l’ἐνέργεια. Ἐνέργεια – activité, acte, actualité – est un terme qui chapeaute et le mouvement et le repos, et le changement et la stabilité. Conçue ontologiquement, toute détermination est une activité, qu’il s’agisse du maintien de la ὕλη dans la détermination une fois acquise ou de son passage à cet état » (ADS, p. 173). Cf. ADS, p. 70 : « la formation de la matière, qui constitue [aux yeux d’Aristote] l’essence du mouvement-processus, n’a plus (…) la signification cosmique suprasensible dont elle était investie chez Platon  ». Ou encore : « Seul ce qui a une ὕλη est en mouvement-processus » (ibid., p. 139). Et passim.

  5. 5.

    PP, p. 157 (« Notes de travail »).

  6. 6.

    MNMEH, p. 103.

  7. 7.

    Nous renvoyons ici au § 70 de Sein und Zeit (« La temporalité de la spatialité propre au Dasein ») : « C’est seulement sur la base de la temporalité ekstatico-horizontale qu’est possible l’irruption du Dasein dans l’espace » (SZ, p. 369).

  8. 8.

    Si l’on considère ainsi la conférence « Zeit und Sein » de 1962, force est de constater que malgré la rétractation du paragraphe 70 de Sein und Zeit (« la tentative, dans Sein und Zeit, § 70, de ramener la spatialité du Dasein à la temporalité, n’est pas tenable » [Zur Sache des Denkens, p. 24 ; TE, p. 224]), Heidegger continue de penser la spatialité comme une dimension de la présence fondée sur une ouverture ontologique dont le sens primordial s’exprime en termes exclusifs de temporalité. Il suffit de remarquer que la conférence s’attarde sur deux modalités de cette ouverture : « Es gibt Sein » (« Cela donne l’être ») et « Es gibt Zeit » (« Cela donne le temps »), sans que ne soit évoquée une troisième instance ouvrante de type « Es gibt Raum ». Car en effet, qu’il y ait de l’être, cela se donne à penser encore et toujours dans l’événement de la présence : être veut dire Anwesen – présentifier (cf. TE, p. 200). D’où le destin commun de l’être et du temps, qui se co-déterminent mutuellement à partir du es gibt. Certes, Heidegger nomme également cette ouverture l’espace-temps (Zeit-Raum) : « L’espace-temps cependant est le nom de l’ouverture (das Offene) qui s’ouvre par et dans l’auto-atteinte mutuelle de l’approche de l’avenir, de l’avoir-été et du présent (das im Einander-sich-reichen von Ankunft, Gewesenheit und Gegenwart sich lichtet) » (Zur Sache des Denkens, p. 14–15 ; TE, p. 211, trad. modifiée). Mais c’est donc bien alors le temps, avec sa triplicité de schèmes (avenir, avoir-été, présent), qui commande à l’ouverture de cette spatialité qui n’en est qu’un dépôt ou une concrétion fondée. C’est par le jeu mutuel des trois ekstases du temps que s’ouvre la présence, rendant l’espace possible : « Cette ouverture fournit exclusivement et primordialement l’espace dans lequel l’espace tel que nous le connaissons habituellement peut se déplier (Erst dieses Offene und nur es räumt dem uns gewöhnlich bekannten Raum seine mögliche Ausbreitung ein) » (ibid., trad. modifiée). Le temps ouvre la présence, co-déterminée par le don de l’être. Dans cette ouverture apparaît l’espace, issu du jeu de va-et-vient des ekstases temporelles, espace qui rend possible ensuite l’espace ordinaire. L’espace est donc une formation temporelle, ce que confirme par-dessus le marché la mise en évidence par Heidegger d’une quatrième dimension du temps : celle-ci, énoncée en dernier mais qui est première dans l’ordre de l’importance, est la Nahheit, ou « proximité approchante », que l’on est tenté de lire comme une traduction exclusivement temporelle de ce que Heidegger appréhendait dans Sein und Zeit comme déloignement (Entfernung), l’un des trois existentiaux de la spatialité.

  9. 9.

    Nous reprenons ici le titre d’un article de R. Barbaras  : « La phénoménologie comme dynamique de la manifestation », Les études philosophiques, 2011 [98–3], p. 331–349).

  10. 10.

    J. Patočka , « Leçons sur la corporéité » (1968–1969), PP, p. 114.

  11. 11.

    J. Patočka , « Le tout du monde et le monde de l’homme. Remarques sur un essai contemporain de cosmologie » (1972), MNMEH, p. 268.

  12. 12.

    PP, p. 64 (« Leçons sur la corporéité).

  13. 13.

    MNMEH, p. 268.

  14. 14.

    MNMEH, p. 100. Cf. MNMEH, p. 268 : « Dans le monde comme réalité nécessaire des contingences règne ce qui en dernière analyse n’est aucun étant mais qui rend possible l’apparition et la disparition de l’étant ». Ou encore : « Nous désignons la totalité préalable comme monde et comme être » (PP, p. 114).

  15. 15.

    ADS, p.69.

  16. 16.

    MNMEH, p.137.

  17. 17.

    Cf. SZ, p. 135.

  18. 18.

    « L’étant qui a le caractère du Dasein est son Là selon une guise telle que, expressément ou non, il se trouve dans son être-jeté. Dans l’affection, le Dasein est toujours déjà transporté devant lui-même, il s’est toujours déjà trouvé — non pas en se ‘trouvant’ là-devant par la perception, mais en ‘se-trouvant’ en une tonalité » (ibid.).

  19. 19.

    Ibid., p. 190.

  20. 20.

    Heidegger M., SZ, § 68 b) (« La temporalité de l’affection »), p. 344.

  21. 21.

    Sur l’assimilation de l’être du Dasein à un fardeau, ou à un poids, cf. SZ, § 29. Ainsi, p. 134 : « Derechef, il se peut qu’une tonalité exaltée délivre de la charge manifeste de l’être ; mais justement, même cette possibilité de tonalité ouvre – fût-ce en délivrant de lui – le caractère de fardeau du Dasein ».

  22. 22.

    J. Patočka , « Méditation sur ‘Le monde naturel comme problème philosophique’ », MNMEH, p. 93.

  23. 23.

    Cf. le paragraphe 14 de Sein und Zeit.

  24. 24.

    SZ (§12 : « Esquisse préparatoire de l’être-au-monde à partir de l’orientation sur l’être-à… comme tel »), p. 54.

  25. 25.

    MNMEH, p. 93.

  26. 26.

    Pour parler comme Sartre  : « le corps-pour-soi n’est jamais un donné que je puisse connaître : il est là, partout comme le dépassé, il n’existe qu’en tant que je lui échappe en me néantisant ; il est ce que je néantise. Il est l’en-soi dépassé par le pour-soi néantisant et ressaisissant le pour-soi dans ce dépassement même » (J.-P. Sartre, L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard [coll. Bibliothèque des idées], 1980, p. 357). Mon corps est, autrement dit, « la forme contingente que prend la nécessité de ma contingence » (p. 356).

  27. 27.

    Comme le suggère avec raison D. Franck à l’endroit de Heidegger : « le Dasein neutre n’est jamais tel ou tel existant incarné de fait mais la possibilité de toute existence incarnée qui s’appartient elle-même » (D. Franck, Heidegger et le problème de l’espace, Paris, éditions de minuit [coll. Arguments], 1986, p. 32).

  28. 28.

    MNMEH, p. 94 (« Méditation sur ‘Le monde naturel comme problème philosophique’ »). Nous sommes donc réservé à l’égard de la tentative, chez É. Tardivel , de soumettre intégralement l’existence humaine à une liberté originaire, y compris eu égard de son premier mouvement d’enracinement dans le monde par la chair. Cf. É. Tardivel, La liberté au principe. Essai sur la philosophie de Patočka , Paris, Vrin [coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie], 2011, p. 152, où l’auteur est amené à solliciter la notion pour le moins paradoxale (de son aveu même) d’« assomption passive » du monde.

  29. 29.

    MNMEH, p. 94 (« Méditation sur ‘Le monde naturel comme problème philosophique’ »).

  30. 30.

    Cf. SZ, § 9 (« Le thème de l’analytique du Dasein »), p. 42.

  31. 31.

    MNMEH, p. 94 (« Méditation sur ‘Le monde naturel comme problème philosophique’ »).

  32. 32.

    Un autre texte, extrait des Papiers phénoménologiques, va dans ce sens, en prenant appui sur la conception aristotélicienne du mouvement comme possibilisation (texte où l’on voit en outre à quel point l’ancrage du mouvement corporel dans un soubassement mondain permet d’éviter le piège philosophique du formalisme) : « Nous sommes dans l’espace en tant que subjectivement corporels (…). Il s’agit d’un mouvement au sens dont parlait Aristote , défini par un d’où – vers où et dont l’essence est la possibilité qui, sans être encore réalité pleine et entière, est en passe de la devenir. Le ‘d’où’ de ce mouvement, c’est notre réalité propre, notre vie propre à la fois comme soubassement organique, réservoir de possibilités déjà réalisées, et comme projet de possibilités que nous sommes de manière créatrice, active et actuelle » (PP, p. 93 [« Leçons sur la corporéité »]). Ici encore, le corps semble recouvrir cette réalité ontologiquement hétéroclite désignant à la fois le soubassement qui nous contraint et nous situe, et l’orientation libre et créatrice vers des possibles à réaliser.

  33. 33.

    EH, p. 33–34.

  34. 34.

    Ibid., p. 34.

  35. 35.

    Cf. E. Husserl , Analysen zur passiven Synthesis. Aus Vorlesungs- und Forschungsmanuskripten, 1918–1926 (Hua. XI), éd. M. Fleischer, La Haye, M. Nijhoff, 1966 (De la synthèse passive : logique transcendantale et constitutions originaires, trad. B. Bégout et J. Kessler, avec la collaboration de N. Depraz et M. Richir , Grenoble, J. Millon, 1998).

  36. 36.

    PP, p. 108.

  37. 37.

    Nous empruntons cette formule à R. Barbaras , (L’ouverture du monde. Lecture de Jan Patočka , op. cit., p. 20).

  38. 38.

    PP, p. 109.

  39. 39.

    Cf. par exemple SZ, p. 84.

  40. 40.

    SZ, p. 38.

  41. 41.

    Conformément à l’indication donnée dans le cours de 1925, Prolégomènes à l’histoire du concept de temps, où au § 23 a) Heidegger détermine le monde ambiant (Umwelt) du Dasein comme relevant d’emblée d’un Werkwelt (« monde de l’ouvrage »). Comme le regrette ainsi M. Haar  : « L’analyse de Sein und Zeit dans sa sécheresse anti-romantique conduirait, si elle était le dernier mot du philosophe, à la vision étouffante d’un monde totalement coupé de la vie, cloisonné comme un gigantesque atelier, centré sur son espace propre et… aveugle à la Terre » (M. Haar, Le chant de la Terre. Heidegger et les assises de l’histoire de l’être, Paris, l’Herne [coll. Bibliothèque de philosophie et d’esthétique], 1987, p. 52).

  42. 42.

    SZ (§ 15 : « L’être de l’étant qui fait encontre dans le monde ambiant »), p. 70.

  43. 43.

    PP, p. 213.

  44. 44.

    « Il est pensable que l’expérience fourmille de conflits irréductibles, et irréductibles non pas seulement pour nous mais en soi ; que l’expérience se rebelle tout d’un coup contre toute prétention de maintenir constamment la concordance entre les positions de choses ; que de son enchaînement disparaisse tout ordre cohérent entre les esquisses, les appréhensions, les apparences ; bref qu’il n’y ait pas de monde. (…) L’être de la conscience, et tout flux du vécu en général, serait certes nécessairement modifié si le monde des choses venait à s’anéantir, mais [il] ne serait pas atteint dans sa propre existence » (Ideen I, trad. p. 161).

  45. 45.

    Ibid., trad. p. 162.

  46. 46.

    Sur la reconduction phénoménologique du monde à un fondement ultime conscientiel, on prendra en considération la remarque suivante du jeune Fink , dans un article publié en 1933 au sujet de la démarche méthodologique de la pensée de Husserl  : « La question fondamentale de la phénoménologie, par laquelle elle renoue, chemin faisant, avec de nombreux problèmes traditionnels, et qui manifeste son opposition radicale au criticisme [kantien , pour autant que le monde, inconnaissable, relève d’une dialectique des idées pures de la raison], peut se formuler comme la question de l’origine du monde » (E. Fink, « La philosophie phénoménologique d’Edmund Husserl face à la critique contemporaine », in De la phénoménologie, trad. D. Franck , Paris, éditions de minuit [coll. Arguments], 1974, p. 119). Cette science de l’origine du monde qu’est la phénoménologie conçue par Husserl comme science rigoureuse, « transcende en son principe toute forme de connaissance mondaine » (ibid., p. 122) : « Alors que le concept ‘général’, traditionnel, de science est fondamentalement lié à la connaissance ‘immanente au monde’, la phénoménologie ‘étend’ le concept de science en réalisant une connaissance ‘transcendante au monde’ (ibid.).

  47. 47.

    Ainsi, dès 1925 et le cours intitulé Prolégomènes à l’histoire du concept de temps, Heidegger souligne avec force que Husserl , en ne posant pas la question du mode d’être de la conscience intentionnelle (et à plus forte raison celle du sens de l’être en tant que tel), en vient à plaquer sur elle des déterminations afférantes à la réalité chosique à laquelle elle se rapporte : « Le résultat de nos réflexions est donc le suivant : dans l’élaboration de l’intentionnalité comme champ thématique de la phénoménologie, la question de l’être de l’intentionnel demeure inélucidée. Elle n’est pas posée dans le champ obtenu, celui de la conscience pure ; elle est même écartée comme absurde. Elle est expressément ajournée par l’allure même qui a été suivie pour obtenir ce champ, la réduction, et là où il est fait usage de déterminations d’être, comme on le voit au point de départ de la réduction, la question n’est pas posée, ou en tout cas ne l’est pas originairement, mais l’être des actes est déterminé par avance de façon théorique et dogmatique comme être au sens de la réalité naturelle [als Sein im Sinne der Realität von Natur]. La question de l’être elle-même demeure inélucidée » (Prolegomena Zur Geschichte des Zeitbegriffs [GA 20], 1976, p. 157 ; PHCT, p. 170).

  48. 48.

    Ainsi qu’à la toute fin de son itinéraire de pensée, où il affirmait en 1973, dans le séminaire de Zähringen, que « [Husserl ] ne déploie pas la question : que veut dire ‘être’ ? Pour Husserl, il n’y avait pas là l’ombre d’une question possible, vu que pour lui va de soi qu’‘être’ veut dire : être-objet » (« Séminaire de Zähringen » [Questions IV], in Questions III et IV, trad. J. Beaufret, F. Fédier, J. Hervier, J. Lauxerois, R. Munier, A. Préau et C. Roëls, Paris, Gallimard [coll. Tel], 1990, p. 466).

  49. 49.

    « Le ‘scandale de la philosophie’ ne consiste pas en ce que cette preuve [de l’existence des choses hors de soi] se fait encore désirer, mais en ce que de telles preuves sont encore et toujours attendues et tentées » (SZ, p. 205 [§ 43 : « Dasein, mondanéité et réalité »]).

  50. 50.

    Dans un langage marqué par la terminologie technique de la philosophie pratique kantienne , Heidegger indique ainsi : « L’intentionnalité est la ratio cognoscendi de la transcendance. Cette dernière est le ratio essendi de l’intentionnalité dans ses différents modes » (GA 24, p. 91 ; PFP, p.90). Cf. Critique de la raison pratique, AK V (4) in Œuvres philosophiques, trad. L. Ferry et H. Wismann, Paris, Gallimard (coll. La Pléiade), 1985, p. 610.

  51. 51.

    Il convient de citer ici un extrait du prologue de la conférence de 1962 « Temps et être », qui fait écho au titre de la troisième section – retenue – de l’opus magnum de 1927, et qui ne peut s’entendre que moyennant le tournant (Kehre) par lequel la question de l’être, initialement fondée dans la constitution ontologique de l’étant compréhensivement ouvert à l’être (Dasein), se voit maintenant posée du point de vue de l’être même, sans égard pour l’étant dont l’être constitue toujours en même temps le seul et véritable fondement : « Il s’agit de dire quelque chose de la tentative qui pense l’être sans égard pour une fondation de l’être à partir de l’étant. La tentative de penser l’être sans l’étant devient une nécessité, parce que sans cela, à ce qu’il me paraît, il n’y a plus aucune possibilité de porter en propre au regard l’être de ce qui est aujourd’hui tout autour du globe terrestre – sans parler de déterminer suffisamment le rapport qui tient et porte l’homme jusqu’à ce qui jusqu’ici se nommait ‘être’ » (Zur Sache des Denkens, p. 2 ; TE, p. 193).

  52. 52.

    La première occurrence de la forme verbale du monde remonte d’ailleurs très tôt, à un cours du semestre d’hiver 1919, intitulé Zur Bestimmung der Philosophie : « In einer Umwelt lebend, bedeutet es mir überall und immer, es ist alles welthaft, ‘es weltet’, was nicht zusammenfällt mit dem ‘es wertet’ » (Zur Bestimmung der Philosophie [GA 56/57], 1987, p. 73). Dans la version de 1936 de L’origine de l’œuvre d’art, Heidegger écrit « Welt weltet » en lieu et place du « Welt waltet » (« le monde règne ») de la version de Fribourg de 1935. Cf. également M. Heidegger, « Ce qui fait l’être-essentiel d’un fondement ou ‘raison’ », (Questions I), Questions I et II, trad. H. Corbin, Paris, Gallimard, 1990, p. 142 : « Le monde n’est jamais, le monde se mondifie (Welt ist nie, sondern weltet) ». Une formule similaire est utilisée dans la conférence de 1950 intitulée « La chose » : « Welt west, indem sie weltet » (« Le monde est en tant qu’il joue ce jeu » [« La chose » : GA 7, p. 181 ; EC, p. 214]). Enfin, dans son Introduction à la métaphysique, Heidegger note que sans le combat (Kampf), concept ontologique éminemment problématique sur lequel nous reviendrons dans la prochaine partie, le monde cesse de mondifier (« keine Welt mehr weltet » ; cf. GA 40, p. 67 ; IM, p.73). Nous devons la plupart de ces références à F. Dastur , Heidegger et la question anthropologique, Louvain-la-Neuve, Peeters ; Paris, éditions de l’institut supérieur de philosophie, 2003, p. 94 (note 41).

  53. 53.

    « Les Quatre : la terre et le ciel, les divins et les mortels, forment un tout à partir d’une Unité originelle » (« Bâtir, habiter, penser » : GA 7, p. 151 ; EC, p. 176). C’est dans « La chose » que les Quatre, que Heidegger nomme une page plus loin le Quadriparti (das Geviert), se trouvent clairement identifiés au monde lui-même : « Ce jeu qui fait paraître, le jeu de miroir de la simplicité de la terre et du ciel, des divins et des mortels, nous le nommons ‘le monde’ » (« La chose » : GA 7, p. 181 ; EC, p. 214).

  54. 54.

    Ainsi, à la différence des analyses de la spatialité que l’on trouve dans Sein und Zeit (§ 22, § 23, § 24), dans « Bâtir, habiter, penser » c’est tout d’abord à partir du lieu, et non plus par le seul intermédiaire du Dasein que s’aménage l’espace : « les espaces reçoivent leur être des lieux » (« Bâtir, habiter, penser » : GA 7, p. 156 ; EC, p. 183) ; « les espaces que nous parcourons journellement sont ‘ménagés’ par des lieux » (GA 7, p. 158 ; EC, p. 186). Mais cela ne signifie pas pour autant que l’homme assiste en spectateur passif au déploiement des espaces morcelés à partir des lieux qu’il contemple. En effet, il n’en reste pas moins que « le trait fondamental de l’habitation [du Dasein] est ce ménagement » (GA 7, p. 151 ; EC, p. 176), qui a le sens ontologique non seulement d’une préservation, mais plus positivement d’une « mise en sûreté dans son être ». Le Dasein continue donc de jouer un rôle dans la spatialisation du monde, même s’il est vrai que celui-ci est beaucoup plus restreint que dans le cadre de la phénoménologie de la spatialité dans Sein und Zeit, où le Dasein ne se contentait pas d’aménager le monde, mais de surcroît l’orientait (selon l’existential de l’Ausrichtung) et le dé-loignait conformément à son essentielle tendance à la proximité (selon l’existential de l’Ent-fernung).

  55. 55.

    Cf. M. Heidegger, « Λόγος (Héraclite , fragment 50) », EC, p. 249–279.

  56. 56.

    Cf. M. Heidegger, « Le séminaire de Zähringen » (1973), in Questions III et IV, op. cit, p. 486. Cf. les analyses de la seconde partie de ce travail, au § 25-iv.

  57. 57.

    SZ, p. 38. Cela ne signifie pourtant pas que Heidegger juge toujours que le type de pensée requis pour entrer en relation avec l’être en sa transcendance doive lui-même s’envisager dans les termes d’une « philosophie transcendantale ». Cela est encore certes le cas dans Sein und Zeit, où Heidegger précise tout de suite, toujours dans le § 7, que « toute mise à jour de l’être comme transcendens est connaissance transcendantale » (ibid.). Cependant, comme nous aurons l’occasion d’y revenir, l’élaboration à partir des années 30 d’une pensée de l’être en son historicité (Geschichtlichkeit), conduit Heidegger à se montrer de plus en plus critique à l’égard de toute attitude philosophique qui ne tient pas compte de l’inscription époquale qui détermine et rend possible la compréhension qu’elle est susceptible d’avoir de l’être. Toute la question reste cependant pour Heidegger de savoir quel est le poids de cette historicité dans la trame ontologique, et si elle constitue le cadre indépassable pour la philosophie. Nous sommes réservé à l’égard de ce dernier point, comme nous le montrerons à la fin de notre seconde partie (cf. § 25-iv).

  58. 58.

    Nous renvoyons sur ce point aux profondes analyses de Michel Haar qui, dans Le chant de la terre, établit très clairement cette convergence heideggérienne entre mondanéité et époqualité : « Dans l’essai sur ‘l’Origine de l’œuvre d’art’, la définition du concept de monde s’est considérablement élargie par rapport à celle de Sein und Zeit. Certes le monde est toujours encore défini comme un ensemble de possibilités, et non comme un étant-subsistant, un en-soi, ou une totalité d’objets. Mais cet ensemble de possibilités concerne, bien au-delà des actions pratiques quotidiennes au niveau ustensilaire, principalement les choix moraux et politiques, les ‘voies (Bahnen) de décision’ et d’action qu’offre une époque particulière de l’Histoire » (M. Haar, Le chant de la terre, op. cit., p. 123). M. Haar fait immédiatement référence à un passage de L’origine de l’œuvre d’art : « Le monde est l’ouverture ouvrant toute l’amplitude des options simples et décisives dans le destin d’un peuple historial » (GA 5, p. 35 ; OA, p. 52). Et M. Haar de poursuivre : « Le concept de monde se trouve étroitement lié à la notion d’époque à tel point qu’il semble se confondre avec elle » (M. Haar, Le chant de la terre, op. cit., p. 123).

  59. 59.

    « Quand Platon présente l’être comme ἰδέα et comme κοινωνίᾳ des Idées ; Aristote comme ἐνέργεια ; Kant comme positio ; Hegel comme Concept absolu ; Nietzsche comme Volonté de puissance – ce ne sont pas des doctrines produites au hasard, mais bien des paroles de l’être, qui répondent à un appel parlant dans le cœur s’hébergeant lui-même de la destination (Schicken), dans le ‘Il y a être’ (…). La pensée reste liée à la tradition des époques (der Epochen) du destinement de l’être (…) » (« Zeit und Sein », in Zur Sache des Denkens, p. 9–10 ; TE, p. 204).

  60. 60.

    « Histoire de l’être veut dire destination de l’être – et dans ces destinations, aussi bien le destiner que le Il, qui destine, font halte, c’est-à-dire contiennent et retiennent leur propre manifestation. Faire halte se dit en grec : ἐποχὴ. D’où la locution d’époques de la destination de l’être. Époque ne veut pas dire une période de temps dans le cours de ce qui arrive, mais bien le trait fondamental du destiner, à savoir : chaque fois faire halte et se retenir en faveur de la perceptibilité de la donation, c’est-à-dire en faveur de l’être – dans le regard dirigé sur la fondation de l’étant » (Zur Sache des Denkens, p. 9 ; TE, p. 203).

  61. 61.

    GA 5, p. 338 ; « La parole d’Anaximandre  », op. cit., p. 407.

  62. 62.

    « Dans le monde comme réalité nécessaire des contingences règne ce qui en dernière analyse n’est aucun étant mais qui rend possible l’apparition et la disparition de l’étant » (J. Patočka , « Le tout du monde et le monde de l’homme », MNMEH, p. 268).

  63. 63.

    PP, p. 114.

  64. 64.

    Toujours dans les « Leçons sur la corporéité », on lit : « Le monde est défini parfois comme horizon de tous les horizons : horizon de la réalité en totalité dans laquelle chaque horizon partiel, chaque connexion fermée de sens et de compréhension s’insère à la place qui est la sienne » (PP, p. 64). Ou bien encore ce texte, où Patočka assimile le monde à un milieu : « Le monde n’est pas somme, mais totalité préalable. On ne peut pas en sortir, s’élever au-dessus de lui. Le monde est, par tout son être, milieu, à la différence de ce dont il est le milieu (…). Toute division, toute individuation est dans le monde, mais n’a pas de sens pour le monde » (ibid., p. 114).

  65. 65.

    GA 22, p. 53–54 ; CFPA, p. 68.

  66. 66.

    Fink refuse la traduction de Diels (« mais la foudre gouverne l’univers »), parce qu’elle surdétermine l’interprétation de l’expression héraclitéenne τὰ πάντα (« toutes choses »). Cf. GA 15, p. 13 sq. ; HS, p. 11 sq.

  67. 67.

    Cf. frag. 66 (éd. de Diels -Kranz ) : « Car tout, le feu, survenu, le jugera et le saisira (condamnera) » (GA 15, p. 114 ; HS, p. 97) ; frag. 76 (éd. de Diels-Kranz) : « Le feu vit la mort de la terre et l’air vit la mort du feu ; l’eau vit la mort de l’air ; et la terre celle de l’eau » (GA 15, p. 115 ; HS, p. 98) ; frag. 31 (éd. de Diels-Kranz) : « Transformation du feu : en premier la mer, mais de la mer première moitié la terre, l’autre moitié nuée ardente. La terre devient liquide comme mer et celle-ci reçoit sa mesure selon le même sens (rapport) qui valait avant qu’elle fût terre » (GA 15, p. 115–116 ; HS, p. 99).

  68. 68.

    Cf. frag. 94 (éd. de Diels -Kranz ) : « (Car) ᾝλιος ne passera pas sa mesure ; sinon les Erinyes, recors de Δίκη, sauront le retrouver » (GA 15, p. 65–66 ; HS, p. 57) ; frag. 120 (éd. de Diels-Kranz) : « Frontières du matin et du soir : l’ourse et en face de l’ourse la borne de Zeus rayonnant ! » (GA 15, p. 67–88 ; HS, p. 58) ; frag. 99 (éd. de Diels-Kranz) : « S’il n’y avait pas le soleil, malgré tous les autres astres, ce serait la nuit » (GA 15, p. 73 ; HS, p. 63).

  69. 69.

    GA 15, p. 120 ; HS, p. 102 (c’est là la traduction de Diels).

  70. 70.

    GA 15, p. 262 ; HS, p. 222.

  71. 71.

    Heidegger en fait notamment l’analyse dans « Was ist das – die Philosophie ? », conférence qu’il prononça à Cerisy-la-Salle en 1955 : « Aristote dit le même (Mét. A 2 982b12) : c’est par et à travers l’étonnement que les hommes sont parvenus, aussi bien maintenant qu’à l’origine, au départ qui ne cesse de régir l’acte de philosopher » (M. Heidegger, « Qu’est-ce que la philosophie ? », [Questions II], in Questions I et II, trad. K. Axelos et J. Beaufret, op. cit., p. 339).

  72. 72.

    GA 15, p. 261 ; HS, p. 221. Cf. OA, p. 55 : « L’essence de la vérité en tant qu’ἀλήθεια reste impensée dans la pensée grecque et, encore plus, dans la philosophie qui lui succède. L’être à découvert est, pour la pensée, ce qu’il y a de plus clos dans le Dasein grec, mais, simultanément, ce qui y est présence dès son aurore ».

  73. 73.

    GA 15, p. 125; HS, p. 107.

  74. 74.

    Ibid.

  75. 75.

    GA 15, p. 181–182 ; HS, p. 157.

  76. 76.

    GA 15, p. 119–120 ; HS, p. 102.

  77. 77.

    GA 15, p. 262 ; HS, p. 222. Cf. aussi GA 15, p. 211 ; HS, p. 180 : « L’obscurité, quand une lumière est allumée en elle, est d’une certaine façon aussi un être-ouvert. Cet ouvert obscur est seulement possible dans l’éclaircie au sens du Da ».

  78. 78.

    Il n’est d’ailleurs pas anodin que les deux grands fragments polémologiques d’Héraclite (le fragment 53 [numérotation de l’édition Diels -Kranz ] : « La guerre [πόλεμος] est le père de toutes choses, de toutes choses le roi. Elle fait paraître les uns comme dieux, les autres comme hommes, des uns elle fait des esclaves, des autres des être libres » ; et le fragment 80 [numérotation de l’édition Diels-Kranz] : « Et que tout arrive sur fond de discorde [ἔριν] et de culpabilité »), encore au cœur de toutes les interprétations heideggériennes de la pensée de l’Éphésien trente ans auparavant, ne font pas l’objet ici d’une attention particulière de la part de Heidegger. C’est Fink qui s’y attarde au cours de la seconde séance du séminaire.

  79. 79.

    GA 15, p. 79 ; HS, p. 68.

  80. 80.

    « Mais maître du plus grand nombre est Hésiode . De lui, il est convaincu qu’il sait le plus, lui qui pourtant ne reconnaissait pas le jour et la nuit. Cela fait bien un pourtant » (HS, p. 64).

  81. 81.

    GA 15, p. 79 ; HS, p. 68.

  82. 82.

    GA 15, p. 80 ; HS, p. 69.

  83. 83.

    Héraclite , Fragments : citations et témoignages, trad. J.-F. Pradeau, Paris, Flammarion (coll. GF), 2002, p. 177.

  84. 84.

    GA 15, p. 231 ; HS, p. 196–197.

  85. 85.

    GA 15, p. 233 ; HS, p. 198.

  86. 86.

    Dans les Grundphänomene des menschlichen Daseins, Fink élargit son approche en analysant le lien entre l’amour et la mortalité (ἔρως et θάνατος) et suggère que les deux phénomènes trouvent leur essentielle proximité en ce qu’ils révèlent la spécificité ontologique de l’homme, en cela qu’il se tient à chaque fois, aimant et mortel (aimant parce que mortel, mortel parce qu’aimant), face au « fond originel et informe de toute vie et de tout être » (E. Fink, Grundphänomene des menschlichen Daseins, Freiburg im Breisgau, Munich, Alber, 1979, p. 333).

  87. 87.

    GA 15, p. 223 ; HS, p. 190. Il faut ici mentionner le quatorzième chant de l’Illiade (v. 258 à 261) : « Nuit dompteuse des dieux et des hommes ». Nous renvoyons également au commentaire qu’en fait C. Ramnoux dans son ouvrage La nuit et les les enfants de la nuit dans la tradition grecque, Paris, Flammarion (coll. Symboles), 1959, p. 11–13. Dans Sérénité, E. Cattin fait retour sur cette thématique finkéénne, dans une réflexion sur le sens du tragique chez Schürmann  : « Aussi violemment fût-il repoussé, le ‘savoir nocturne’ finit par gagner sur le diurne, à la fin c’est la nuit principielle qui l’emporte sur les principes du jour : tout principe est diurne par vocation, tout principe est natal, en tant même qu’il est ἀρχή. Mais alors nous (il ne s’agit que de nous) pouvons penser qui nous sommes, ou qui nous avons à être : les mortels, dans la mesure même où la nuit a pour nous emporté les principes, même si nous continuons à faire comme si de rien n’était » (E. Cattin, Sérénité. Eckhart , Schelling , Heidegger, Paris, Vrin [coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie], 2012, p. 170–171).

  88. 88.

    GA 15, p. 233 ; HS, p. 198.

  89. 89.

    GA 15, p. 234 ; HS, p. 199.

  90. 90.

    Ibid.

  91. 91.

    GA 15, p. 262 ; HS, p. 222.

  92. 92.

    GA 15, p. 234 ; HS, p. 199–200. Cf. GA 15, p. 211 ; HS, p. 180 : « Par le rapport qu’il entretient avec l’espace de lumière limité, l’homme se rapporte en même temps à ce qui repousse l’ouvert tenu. Il faudrait trouver un mot pour pouvoir saisir dans le langage la relation de l’homme non seulement à l’ouvert mais aussi à la nuit qui se tient autour de l’ouvert ». Dans Nähe und Distanz, Fink récuse encore avec force le monisme heideggérien du λόγος et de l’éclaircie, tirant de cette critique argument en faveur d’une assimilation de l’être au monde : « Mais l’orientation du concept d’être par le λόγος du langage laisse échapper (…) le caractère spatio-temporel de l’être compris mondainement. L’être court le danger de devenir une ‘chose de pensée’, de se volatiliser dans un concept. L’espace-temps complet de l’être, nous le nommons le monde » (E. Fink, Proximité et distance : essais et conférences phénoménologiques, trad. J. Kessler, Grenoble, Millon [coll. Krisis], 1994, p. 143).

  93. 93.

    GA 15, p. 235 ; HS, p. 200.

  94. 94.

    Ibid.

  95. 95.

    GA 15, p. 236; HS, p. 201.

  96. 96.

    Cf. CFM, § 42, p. 267 (GA 29/30, p. 263) : « 1. la pierre (ce qui est matériel) est sans monde [weltlos] ; 2. l’animal est pauvre en monde [weltarm] ; 3. l’homme est configurateur de monde [weltbindend] ». Fink avait été très marqué par ce cours auquel il avait assisté, au point qu’il en avait même repris mot pour mot le sous-titre dans son propre cours de l’été 1949, Welt und Endlichkeit. À la mort de Fink, Heidegger lui dédia son cours de 1929–1930.

  97. 97.

    Cette irréductibilité du fond à l’égard de l’éclaircie constitue même le dernier mot de Fink dans son différend qui l’oppose à Heidegger. Que le fond obscur ne puisse être pensé en son être que là où la vérité de l’être règne déjà comme dé-voilement de l’éclaircie, voilà ce contre quoi Fink a résisté tout le long du séminaire, ce qui donne d’ailleurs à ses remerciements adressés à Heidegger, en clôture des treize séances, un parfum de subtile ironie qu’il peut être loisible de rapporter ici : « F. – M. le professeur Heidegger avec ce qu’il vient de dire a déjà clos officiellement ce séminaire. Je crois pouvoir aussi parler au nom de tous les participants en remerciant M. le professeur Heidegger de tout cœur et avec respect. Les œuvres de pensée peuvent être comme les sommets montagneux aux fermes contours, comme ‘les Alpes sûrement bâties’. Mais nous, nous avons appris ici quelque chose du magma fluide (flüssigen Magma) qui, comme une force souterraine (unterirdisch Kraft), pousse et fait se lever les montagnes » (GA 15, p. 262–263 ; HS, p. 222, nous soulignons). Au point que le « nous » usité par Fink semble exclure Heidegger, qui se rangerait bien plutôt, au vu de la métaphore, du côté de ces œuvres de pensée aux fermes contours déjà constituées, et qui en oublient les conditions obscures et magmatiques par lesquelles elles sont tout d’abord susceptibles d’émerger !

  98. 98.

    GA 15, p. 236 ; HS, p. 200.

  99. 99.

    Pour Fink au contraire : « Sans doute le comprendre obscur n’est-il dicible qu’à partir de l’éclaircie » (ibid.), mais « il ne se laisse plus porter au langage à la manière de l’assemblage articulé (gegliederten Fügung) » (ibid.). Comme le montre F. Dastur , cette disjonction entre comprendre et λόγος enfante chez Fink d’une palette élargie de possibilités du sens. Il faut ainsi écarter « la domination de la logique sur la compréhension de l’être, laquelle peut, selon Fink, emprunter d’autres voies que celle de la théorie, par exemple celles, pratiques et affectives, du travail, de la lutte, de l’amour et du jeu » (F. Dastur, « Eugen Fink. Mondanéité et mortalité », in N. Depraz et M. Richir [éd.], Eugen Fink. Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle, 23–30 juillet 1994, Amsterdam, Atlanta, Rodopi, 1997, p. 334). Car « c’est parce que la compréhension de l’être se nourrit à des sources à la fois claires et obscures que la voie logique n’y possède pas l’exclusivité et c’est ce qui autorise Fink à voir dans la pluralité des voies qu’emprunte la compréhension de l’être autant de ‘modèles opératoires’ à partir desquels nous pensons sans pourtant parvenir toujours à les penser eux-mêmes (ibid.). F. Dastur cite alors un passage d’un cours de 1964, intitulé Metaphysik und Tod : « Ce sont des phénomènes existentiaux qui constituent les horizons de sens de l’interprétation du monde. Ce n’est pas seulement en tant que parleur adamique de la langue que l’homme interprète le monde, mais aussi en tant que guerrier et travailleur, amoureux et joueur » (E. Fink, Metaphysik und Tod, Stuttgart, Kohlhammer, 1969, p. 191, traduction de F. Dastur).

  100. 100.

    GA 15, p. 236 ; HS, p. 201.

  101. 101.

    Le texte topique sur cette question se trouve dans l’essai consacré à Fink , « Le tout du monde et le monde de l’homme. Remarques sur un essai contemporain de cosmologie » (MNMEH, p. 265–272). Nous reviendrons en détail sur la question de la signification patočkienne du « fond obscur » à la fin de cette partie (§ 13).

  102. 102.

    MNMEH, p. 99.

  103. 103.

    Il faudrait se demander au demeurant si la question du sens de l’être, posée par Heidegger dès l’orée de l’opus magnum de 1927, consiste tout uniment et dès l’abord en une question d’ordre ontologique sur le « sens de l’être », ou bien s’il ne faut pas prendre tout autant la mesure du fait que Heidegger pose également, et peut-être même d’abord (avant toute ontologie ou ontologisation), une question plus modeste, une question d’ordre sémantique (c’est-à-dire seulement logique) sur le sens de « est » (c’est-à-dire sur ce qu’il faut entendre par le verbe être). Sur cette question, nous renvoyons au texte de J.-F. Courtine intitulé « Phénoménologie et ontologie herméneutique », reproduit dans son ouvrage La cause de la phénoménologie, Paris, Presses universitaires de France (coll. Épiméthée), 2007 (p. 257 sq.).

  104. 104.

    Fink toutefois a eu tendance à reconduire cette dualité à une unité plus originaire du monde, capable de revêtir ces deux faces ontologiques antagonistes (fond chaotique, ordonnancement). C’est la voie interprétative que prend F. Dastur , en citant d’abord les dernières lignes de Tout et Rien : « Le monde n’est pas seulement la présence mondiale [das weltweite Anwesen] de l’apparaître, il est aussi l’UTOPIA, le Niemandsland du Rien [das Niemandsland des Nichts], auxquels se réfèrent les mystères de l’amour et de la mort » (E. Fink, Alles und Nichts. Ein Umweg zur Philosophie, La Haye, Nijhoff, 1959, p. 249, trad. F. Dastur). Et F. Dastur de commenter : « C’est parce que le monde est cet Ur-Ereignis, cet ‘événement originel’, qui accorde à toutes choses apparaître et individuation, qu’il est aussi ce qui les leur reprend » (F. Dastur, art. cit., p. 336). Le monde est l’unité même du Welttag et de la Weltnacht. F. Dastur a sans doute raison d’interpréter le dualisme cosmologique finkéen sur fond de cette unité originaire. Mais cette solution ne peut nous convenir pour des motifs philosophiques, et c’est là que réside à nos yeux le point au-delà duquel nous ne pouvons plus suivre Fink. Nous ne comprenons pas en effet comment le chaos et l’ordre peuvent se laisser intégrer sous le même chef d’un principe omni-englobant, tout en maintenant « intactes » à la fois la nature chaotique du fond et la puissance d’ordonnancement du monde. Là est peut-être d’ailleurs la limite de l’interprétation de τὰ πάντα à partir du fil directeur héraclitéen du ἕν. C’est peut-être pour conjurer cette difficulté que Fink, dans le séminaire que nous commentons, se montre beaucoup plus réticent envers l’interprétation moniste de la pensée de l’Éphésien : « pour moi le ne-faire-qu’un du jour et de la nuit sous la voûte céleste est une lecture trop facile. Si Héraclite par rapport aux jour et nuit dit : il y a le ἕν, alors avec le jour c’est le pays du soleil qui est désigné et avec la nuit le sombre abîme qui entoure et délimite le pays du soleil. Le domaine du soleil et l’abîme nocturne font ensemble le ἕν » (GA 15, p. 79 ; HS, p. 68). En clôture de cette partie, nous suggérerons que Patočka , lui aussi, a essayé à la suite de Fink de se frayer un chemin (qu’il n’a certes pas emprunté lui non plus jusqu’au bout) qui réactive, dans les pas d’Anaximandre peut-être davantage que ceux d’Héraclite, et dans l’horizon de la pensée mythique des origines, la dualité ontologique fondamentale qui caractérise le conflit entre le fond et le monde.

  105. 105.

    Cette affirmation gagnerait certes à être nuancée, tant les efforts de Husserl furent nombreux pour appréhender le monde comme sol et comme horizon pour la conscience à la fois pré-scientifique et scientifique. Il suffit de rappeler à cet égard l’importance tout à fait centrale du motif du monde de la vie (Lebenswelt) dans la Krisis ou bien dans Erfährung und Urteil. Cependant, il n’en demeure pas moins – en tout cas c’est une interprétation partagée à la fois par Heidegger et par Patočka  – que le geste phénoménologique husserlien de la réduction entraîne nécessairement et inévitablement la reconduction du monde à une origine subjective transcendantale absolue, et à ce titre démondanisée. Le chemin de l’épochè, puis de la réduction, est un chemin hors de la Lebenswelt.

  106. 106.

    Ainsi, dans un fragment traduit dans les Papiers phénoménologiques : « Il faut dire cependant que Martin Heidegger, par sa manière radicale de poser la question du monde en général, ainsi que par son approche nouvelle de la phénoménologie et le lien qu’il établit entre celle-ci et la question de l’être, oblige (…) à repenser, voire à réviser le point de départ husserlien  » (PP, p. 138–139).

  107. 107.

    PP, p. 196 (« Manuscrit de recherche se rapportant à l’essai ‘Épochè et réduction’ »). Cf. aussi PP, p. 200–201, et PP, p. 287.

  108. 108.

    « La phénoménologie est le mode d’accès à et le mode légitimant de détermination de ce qui doit devenir le thème de l’ontologie. L’ontologie n’est possible que comme phénoménologie » (SZ, p. 35). Heidegger peut alors conclure : « Considérée en son contenu, la phénoménologie est la science de l’être de l’étant – l’ontologie » (ibid., p. 37).

  109. 109.

    C’est au § 48 de la Krisis (« Tout étant, quel qu’en soit le sens et quelle qu’en soit la région, est l’index d’un système subjectif de corrélation »), dans une note, que Husserl résume toute son entreprise phénoménologique autour de la mise à jour de l’a priori corrélationnel : « La première percée de cet a priori corrélationnel universel de l’objet d’expérience et de ses modes de données (tandis que je travaillais à mes Recherches logiques, environ l’année 1898) me frappa si profondément que depuis le travail de toute ma vie a été dominé par cette tâche d’élaboration de l’a priori corrélationnel » (E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad. G. Granel, Paris, Gallimard [coll. Bibliothèque de philosophie], 1976, p. 189).

  110. 110.

    QP, p. 259 (« Épochè et réduction »).

  111. 111.

    PE, p. 177. Et encore : « La différence ontologique est incompréhensible, on ne voit pas quel est son rapport au transcendantal, d’une part, à l’existence, à l’étant, d’autre part » (« Notes de travail », PP, p. 264).

  112. 112.

    PE, p. 39.

  113. 113.

    « Il y a un champ phénoménal, un être du phénomène comme tel, qui ne peut être réduit à aucun étant qui apparaît en son sein et qu’il est donc impossible d’expliquer à partir de l’étant, que celui-ci soit d’espèce naturellement objective ou égologiquement subjective. Le champ phénoménal est, dans son principe, dépourvu d’autonomie ; il est impossible en tant qu’étant absolu, clos sur soi ; toute son essence consiste à manifester autre chose, à le découvrir, à le présenter » (« Le subjectivisme de la phénoménologie husserlienne et l’exigence d’une phénoménologie asubjective », QP, p. 239).

  114. 114.

    PP, p. 205–209.

  115. 115.

    Cf. R. Barbaras , Le mouvement de l’existence. Études sur la phénoménologie de Jan Patočka , Chatou, Les éditions de la Transparence, 2007 (p. 55–61).

  116. 116.

    Nous renvoyons à SZ, p. 35.

  117. 117.

    PP, p. 207 (« Manuscrit de recherche se rapportant à l’essai ‘Épochè et réduction’ »).

  118. 118.

    C’est là la position de R. Barbaras , qui estime que la différence ontologique heideggérienne fait place chez Patočka non seulement à un primat de l’apparaître sur l’être, mais à une unité plus profonde qu’il n’hésite pas à appeler une phénoménologie hénologique : « En subordonnant le problème de l’être à la question de l’apparaître et en pensant celui-ci à partir de l’unité, c’est-à-dire comme apparaître d’un monde, Patočka parvient donc à penser la distinction de l’être et de l’étant apparaissant à partir de leur unité dans l’apparition, à subordonner la différence ontologique même à l’unité phénoménologique de l’apparaître (…). Autant dire que la phénoménologie doit être comprise comme hénologie plutôt que comme ontologie » (R. Barbaras, « L’être et la manifestation – sur la phénoménologie de Jan Patočka », in Revue de métaphysique et de morale, 2006 [4], p. 493–494).

  119. 119.

    Comme le suggère notamment F. Dastur dans sa préface de l’ouvrage d’É. Tardivel (La liberté au principe, op. cit., p. 10) : « Mais la question se pose néanmoins : la lecture que Patočka fait du premier Heidegger est-elle la bonne ? Peut-on en effet opposer l’apparaître à l’être et la différence ontologique à ce qui est nommé ici [par E. Tardivel] ‘différence phénoménologique’ (…), selon laquelle c’est l’apparaître qui serait la condition de l’être et non le contraire (…) ? ».

  120. 120.

    F. Dastur suggère ainsi que Patočka tend à « réinstaller une différence de type métaphysique entre être et apparaître » (ibid.).

  121. 121.

    Ainsi, dans « Méditation sur ‘Le monde naturel comme problème philosophique’ », Patočka écrit : « La réduction, qui fait apparaître le domaine de la manifestation comme autonome ou ‘pré-existant’, ouvre sans nul doute la compréhension de l’être, notamment dans la sphère noématique, comme distinct de l’étant même qui se manifeste. Toutefois, l’ontologie heideggérienne présuppose, outre cette compréhension, l’annulation de la réduction comme réduction, comme conversion à une réalité du domaine noétique, subjectif » (MNMEH, p. 98–99).

  122. 122.

    « On trouve par ailleurs une contribution fondamentale au concept de phénomène dans Sein und Zeit, p. 27 sqq. Des choses décisives y sont dites, mais le caractère subjectif de la démarche philosophique n’est au bout du compte pas entièrement dissipé, recevant plutôt une nouvelle tournure pour déboucher dans l’‘herméneutique’ » (PP, p. 205–206 [« Manuscrit de recherche se rapportant à l’essai ‘Épochè et réduction’ »]). Cf. PE, p. 181, PE, p. 187, PE, p. 260. Nous devons à R. Barbaras la compilation de ces références (dans « L’être et la manifestation – Sur la phénoménologie de Jan Patočka , art. cit., p. 489, n. 17).

  123. 123.

    MNMEH, p. 99.

  124. 124.

    À l’instar de celui-ci : « En partant du sum, en le mettant en relief ontologiquement, par opposition à l’étant qui n’est pas sur le mode du Dasein, il devient possible d’accéder, au-delà de l’ego, à des structures plus fondamentales, fondatrices de l’expérience. Cette percée au sens propre ne se produit que chez le ‘second Heidegger’, celui de la ‘Kehre’, qui fait apparaître, dans son accomplissement phénoménalisant, l’être qui, dans le sum, entre en mouvement et dans la lumière de l’ἐνέργεια » (« Le subjectivisme de la phénoménologie husserlienne et la possibilité d’une phénoménologie ‘asubjective’ », QP, p. 214). On notera ici que la formule « lumière de l’ἐνέργεια » semble faire peser la phénoménologie de la manifestation sur l’éclaircie préalable du monde. Toute la question est celle de savoir si Patočka pense uniment dans son œuvre que l’être pensé à partir du monde se donne entièrement dans la lumière. C’est sur ce point qu’apparaît selon nous une tension importante avec les textes cosmologiques où au contraire c’est sur la provenance d’une obscurité onto-cosmologique originaire qu’advient le mouvement de la manifestation, en tant que mouvement de sortie hors du fond. Nous revenons très largement sur cette problématique dans le second chapitre de cette partie.

  125. 125.

    MNMEH, p. 99.

  126. 126.

    « La philosophie phénoménologique se distingue de la phénoménologie dans la mesure où elle ne veut pas seulement analyser les phénomènes en tant que tels, mais encore en tirer des conséquencesmétaphysiques’ et pose la question du rapport entre le phénomène et l’étant, les étants » (PE, p. 41).

  127. 127.

    Certes, Patočka ne pose pas toujours les choses de cette manière, à l’image du texte suivant extrait de ses notes préparatoires pour l’essai « Épochè et réduction», où le philosophe tchèque appelle à « éviter le danger, tangible chez Heidegger, d’accoupler si étroitement ἀλήθεια et ψεῦδος, ἀγάθων et κακόν, qu’il risque de se produire une permutation des signes et que le questionnement philosophique débouche dans un parti pris d’obscurité dont il n’y a pas d’issue. Le primat de l’apparaître est, au contraire, une fondation du primat de la lumière ; sans nier l’obscurité, l’on statue néanmoins une préséance de la clarté » (PP, p. 209). Mais il s’agit d’une interprétation pour le moins inattendue de la philosophie de Heidegger, quand on sait l’importance dans sa philosophie du concept d’éclaircie (Lichtung). En outre, à l’inverse la préséance de la clarté ne peut avoir un sens chez Patočka que dans le cadre d’une phénoménologie qui pense le monde comme horizon pour tout apparaître. Seulement, lorsque la question se met à porter sur la provenance ontogénétique de l’horizon (c’est-à-dire encore la question eu égard à son mode d’être propre), alors la phénoménologie vire en cosmologie (ou bien en philosophie phénoménologique), et le primat revient alors à l’obscurité du monde déterminé cette fois-ci comme fond. Tout le problème est alors – nous le suggérions précédemment – de comprendre comment ces deux plans peuvent être compatibles, surtout lorsque l’on considère que l’un (la cosmologie) est la condition transcendantale de l’autre (la phénoménologie).

  128. 128.

    Remarquons d’ailleurs que sous la plume de Patočka idéalisme et subjectivisme constituent souvent des notions interchangeables, comme dans ce passage dirigé contre Husserl  : « En bref, il est probable que Husserl a fini par voir clair dans la situation de la phénoménologie subjective, quoiqu’il n’eût apparemment pas le courage de sacrifier la métaphysique idéaliste de la conscience qu’il défend encore dans la Krisis et qui provient intégralement de la subjectivation artificielle du phénoménal » (« Le subjectivisme de la phénoménologie husserlienne et la possibilité d’une phénoménologie ‘asubjective’ », QP, p. 211).

  129. 129.

    MNMEH, p. 99.

  130. 130.

    Heidegger invoque notamment la notion de Pli (ou « pli en deux », Zwiefalt) dans son herméneutique de la pensée parménidienne . Cf. M. Heidegger, « Moira », EC, p. 279–311. Ainsi : « Le Pli [Zwiefalt] peut du moins être suggéré par les tournures ‘être de l’étant’ et ‘étant dans l’être’. Seulement ‘ce qui déplie’ se cache dans le de et le dans bien plutôt que par ces mots il ne nous oriente vers son être » (GA 6, p. 245 ; EC, p. 290).

  131. 131.

    Nous nous écartons donc sur ce point de la thèse d’É. Tardivel , qui estime pour sa part que Patočka s’aligne sur la fameuse thématisation heideggérienne de l’homme comme berger de l’être, dans la Lettre sur l’humanisme : « Chez Patočka, comme chez Heidegger, il s’agit d’une liberté par et pour l’être. Cela revient donc à affirmer que l’essence de l’homme réside entièrement en une mission, qui ne consiste pas à dominer l’étant, mais à le laisser être (…). Heidegger écrit à ce titre : ‘L’homme n’est pas le maître de l’étant. L’homme est le berger de l’être’ (…) Et c’est dans cette idée de l’homme que Patočka semble avoir trouvé la clé de son propre système » (É. Tardivel, La liberté au principe, op. cit., p.79–80).

  132. 132.

    Voici d’ailleurs comment Patočka qualifie le subjectivisme au début de son texte sur « Le subjectivisme de la phénoménologie husserlienne et la possibilité d’une phénoménologie ‘asubjective’ », d’une manière qui s’applique évidemment beaucoup mieux à la perspective développée par Husserl que par celle de Heidegger : « fournir, d’une part, une fondation absolue et définitive de la connaissance et accéder, d’autre part, dans le mouvement de cette fondation, à un ‘être absolu’ de la conscience, effectuer la fondation en recourant à cette sphère absolue d’être ou d’‘être en soi antérieur’ » (QP, p. 189).

  133. 133.

    Nous renvoyons sur ce point à J.-F. Courtine , « La phénoménologie envisagée dans sa possibilité la plus propre », in Archéo-Logique : Husserl , Heidegger, Patočka, Paris, Presses universitaires de France (coll. Épiméthée), 2013, p. 230–231.

  134. 134.

    Cf. MNMEH, p. 270 (« Le tout du monde et le monde de l’homme ») : « L’homme n’apparaît pas simplement comme tout le reste, ayant lieu et durée ; il y a dans son apparaître encore un autre mouvement qui fait en même temps que les choses apparaissantes, ainsi que lui-même, lui apparaissent, sont là pour lui ». Ou encore, dans les notes rédigées en vue de l’essai « Épochè et réduction » : « Nous considérons comme appartenant à la structure de l’apparaître en tant que tel cette totalité universelle de l’apparaissant, le grand tout, ainsi que ce à quoi l’étant apparaît, la subjectivité (ayant une structure pronominale vide, à ne pas identifier avec un sujet singulier fermé) » (PP, p. 177). J.-F. Courtine a parfaitement mis en valeur la continuation, chez Patočka , de ce motif phénoménologique classique selon lequel la dimension d’adresse à un sujet (au sens du δοκεῖν μοι) constitue une structure cardinale de la phénoménalité : « Reste que cet ordonnancement, celui qui préside à la structure de l’apparaître comme tel et au ‘s’apparaître’ de l’apparaître même, requiert bien quelque chose comme une nouvelle instance ou figure du sujet et de la subjectivité : ne serait-ce que d’abord au titre du ‘pour moi’ ou ‘à moi’ requis par la phénoménalité elle-même. Dit autrement, (…) au φαίνεσται comme tel appartient toujours et ‘structurellement’ quelque chose comme un δοκεῖν μοι » (J.-F. Courtine, Archéo-Logique : Husserl , Heidegger, Patočka, op. cit., p. 238). Notons dès lors que si Patočka n’hésite pas à conserver la terminologie du sujet (même dans le cadre d’une phénoménologie asubjective qui, encore une fois, n’est en aucun cas synonyme de « phénoménologie sans sujet »), en revanche le concept husserlien de « conscience » est traité avec beaucoup plus de distance critique, précisément parce qu’il véhicule tous les préjugés subjectivistes dont il faut se prémunir, comme dans ce texte extrait de l’article « Qu’est-ce que la phénoménologie ? » : « Fût-il défini par l’intentionnalité, le concept de ‘conscience’ est, dans son principe même, inapte à rendre raison de l’apparaître de l’apparaissant. La ‘conscience’, dont le mode d’être demeure d’ailleurs indéterminé ou apparaît même, saisi dans la réflexion intérieure pure, comme une chose constituée, subsistante, est toujours un étant intégralement positif qui ne peut donner lieu à aucun dépassement, qui ne peut donc être la source dont procède l’apparition, l’éclosion du ‘est’ dans son étrangeté fondamentale » (QP, p. 296).

  135. 135.

    « La manifestation des choses (…) n’est pas manifestation pour le sujet, mais bien manifestation comme entrée dans la singularité, devenir. C’est une manifestation dans laquelle les choses singularisées sont elles-mêmes intérieurement indifférentes, une manifestation qui n’est pas manifeste à elle-même, une manifestation plongée dans l’obscurité nocturne de l’étant et de l’être originaires » (MNMEH, p. 100 [« Méditation sur ‘Le monde naturel comme problème philosophique’ »]).

  136. 136.

    « Ainsi se trouve ancré, dans le fond même du monde, un étant qui n’est pas nécessaire, mais qui fait nécessairement que le nécessaire émergeant devant lui apparaît comme un mode d’être déficient » (ibid., p. 269 [« Le tout du monde et le monde de l’homme »]). Le mode d’être du monde est déficient dans la mesure où il se retire nécessairement et échappe à la manifestation dans le procès même où il la rend possible.

  137. 137.

    « Les choses seraient alors ce qu’elles sont, non à partir de l’ouverture secondairement humaine, mais déjà à partir de l’ouverture primordiale, physique, de l’étant par l’être » (ibid., p. 100).

  138. 138.

    Comme le note P. Aubenque  : « Les atomistes parlent d’‘éléments’ (στοιχεῖα) ; Platon dans le Timée parle d’un ‘espace’ (χώρα), qui serait comme un ‘réceptacle’ ou une ‘matrice’ (ὑποδοχἠ) des formes, ou encore un simple ‘participant’ (μεταληπτικόν). Mais Aristote est le premier qui procède à une mise en place du concept de ‘matière’ (…) ; c’est lui qui ‘invente’, par récurrence, le matérialisme, comme d’ailleurs aussi l’anti-matérialisme, de la philosophie antérieure » (P. Aubenque, « La matière chez Aristote », in Problèmes aristotéliciens. Tome 1 : philosophie théorique, Paris, Vrin [coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie], 2009, p. 211).

  139. 139.

    « Phénoménologie et ontologie du mouvement », PP, p. 30 (note) ; ADS, p. 251.

  140. 140.

    C’est ce que suggère R. Barbaras  : « Autant dire qu’à ce niveau absolument originaire, on n’a pas encore affaire à une corrélation au sens proprement phénoménologique, car il n’y a encore rien qui paraît ni personne à qui quelque chose pourrait paraître » (R. Barbaras, L’Ouverture du monde, op. cit., p. 284).

  141. 141.

    Et il est notable que par son geste de désubjectivisation de l’apparaître, Aristote est conduit selon Patočka dans le sillage de l’anti-idéalisme : « Sous ce rapport, Aristote est à l’antipode de l’idéalisme moderne. Il ne cherche pas le sujet dans les choses – il n’a pas du tout de concept d’un sujet – pas plus qu’il ne l’introduit en elles » (PP, p. 30 [note] ; ADS, p. 251).

  142. 142.

    PP, p. 30 (note) ; ADS, p. 252.

  143. 143.

    La reprise du projet transcendantal initié par la phénoménologie husserlienne est souvent revendiquée par Patočka . Ainsi, dans les notes préparatoires à l’article « Épochè et réduction » : « nous croyons que le problème de l’apparition en tant que primaire découle tout naturellement d’une refonte de la doctrine husserlienne en un transcendantalisme formel de l’apparaître en tant que tel » (PP, p. 209).

  144. 144.

    QP, p. 218.

  145. 145.

    Comme le note ainsi S. Crowell  : « Ce qui est unique toutefois dans l’approche de Patočka sur ces questions [problèmes eu égard à la nature, l’incarnation, la cosmologie, la théologie], c’est son adhésion au programme de la phénoménologie transcendantale » (S. Crowell, « ‘Idealities of nature’ : Jan Patočka on Reflection and the three movements of Human Life », in I. Chvatik et E. Abrams [éd.], Jan Patočka and the Heritage of Phenomenology, Centenary Papers, Dodrecht/Heidelberg/Londres/New York, Springer, 2011, p. 7, nous traduisons).

  146. 146.

    C’est d’ailleurs le pari, jugé impossible par ses successeurs idéalistes (Fichte au premier chef), que Kant s’engageait à tenir dans sa philosophie critique, en militant pour que la philosophie transcendantale constituât tout en même temps en un réalisme empirique respectueux de la finitude de la sensibilité humaine, et partant du caractère inconnaissable de la réalité indépendamment de la prise subjective sur elle (Cf. E. Kant, Critique de la raison pure, « Critique du quatrième paralogisme de la psychologie transcendantale », AK, IV, 231sq). Pour sa part en revanche, le meilleur de l’effort de l’idéalisme allemand consista à réprimer ce motif réaliste perçant sous la matière phénoménale, trace d’une chose en soi, et qui exposait la philosophie transcendantale à une finitude qu’il fallait récupérer, réintégrer dans le mouvement d’infinitisation propre au geste transcendantal.

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Spaak, C.V. (2017). Chapitre 1. La conquête de la perspective cosmologique dans le dialogue critique avec Heidegger. In: Interprétations phénoménologiques de la 'Physique' d’Aristote chez Heidegger et Patočka. Phaenomenologica, vol 223. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-56544-6_2

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